Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort

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Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
Il est des navigateurs passés à la postérité et d’autres tombés quasiment dans l’oubli. Principale raison à cela, le fait qu’ils aient trouvé la mort au cours de leurs expéditions. C’est le cas du contre-amiral Antoine Bruny d’Entrecasteaux qui sillonna le Pacifique de 1791 à 1793, cherchant en vain des traces de Lapérouse ; épuisé par sa quête stérile, il mourut comme nombre de ses marins du scorbut, l’époque troublée de la Révolution française achevant de précipiter sa mémoire dans l’oubli.

Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse, devenu Lapérouse au fil du temps, était décidément un marin d’importance puisque l’on dit qu’au moment de monter sur l’échafaud, le roi Louis XVI demanda, ultime interrogation, si l’on avait enfin des nouvelles de son navigateur parti de Brest à bord de deux frégates le 1er août 1785.


Un voyage sur… Mars !
Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
A l’époque, les Wallis, Bougainville et Cook avaient certes ouvert la voie vers le Pacifique Sud, mais bien des choses, des peuplades, des archipels, des plantes restaient à découvrir. Or les expéditions d’alors s’apparentaient en bien des points à ce que serait aujourd’hui un voyage sur Mars. Deux à trois ans au moins d’éloignement, des dangers multiples, à commencer par le risque de naufrage (donc de non-retour), et des problèmes de santé, le scorbut décimant les équipages plus sûrement que les rencontres avec des indigènes, fussent-ils mal intentionnés.

A la demande de Louis XVI, Lapérouse avait donc quitté la France mi 1785 et depuis, on était sans nouvelle. Et pour cause, en 1788, ses deux bâtiments, La Boussole et L’Astrolabe, avaient fait naufrage sur les récifs de l’île de Vanikoro, aux Salomon.

En 1791, la France était en pleine ébullition révolutionnaire, mais pour autant, l’importance de la mission de Lapérouse n’échappa pas à l’Assemblée constituante ; celle-ci décida d’envoyer dans le Pacifique rien moins qu’un contre-amiral, Antoine Bruny d’Entrecasteaux. Bien évidemment, la possibilité d’une catastrophe n’était pas écartée et le pouvoir politique souhaita, pour cette nouvelle expédition, doubler en quelque sorte celle de Lapérouse. Si celui-ci avait bel et bien disparu, d’Entrecasteaux ayant à son bord une belle brochette de scientifiques, devait pouvoir faire avancer les sciences tout en effectuant ses recherches : comme en 1785, embarquèrent donc à bord, naturalistes, géographes, botanistes, géologues, et autres ingénieurs, tous des sommités dans leur domaine respectif.

Pour mieux mesurer l’importance de cette mission, il suffit de se rappeler que sur un budget annuel de 30 millions de livres, la Royale déboursa la coquette somme de près de 1,4 million de livres.

Mais qui était donc ce d’Entrecasteaux pour se voir confier de telles responsabilités ?


Gouverneur dans l’océan Indien
Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
Antoine Reymond Joseph de Bruni d’Entrecasteaux avait vu le jour dans le Var, le 7 novembre 1737, dans le vaste et imposant château familial. Son père, le marquis d’Entrecasteaux, était un représentant de la noblesse provençale au Parlement de Provence.

Le jeune Antoine, après des études chez les Jésuites à Aix-en-Provence, décida de tenter l’aventure maritime en s’engageant, en juillet 1754, comme simple garde au sein de la Royale. Débuts modestes, mais son énergie et la noblesse de sa naissance le firent nommer enseigne de vaisseau dès avril 1757, alors qu’il n’avait pas encore dix-huit ans.

Méditerranée, Atlantique, d’Entrecasteaux roula sa bosse et fit valoir ses qualités au point d’être nommé lieutenant de vaisseau en février 1770, puis capitaine de vaisseau en mars 1779. A ce moment de sa déjà riche carrière, il commandait un navire prestigieux, Le Majestueux, doté de cent-dix canons.

A terre, il se montra aussi efficace qu’en mer en tant que directeur-adjoint des ports et arsenaux. Curieusement, s’il demanda à partir en retraite en 1885 (il n’avait que 48 ans), il continua à naviguer dans l’océan Indien et parvint même à créer une nouvelle route entre l’Europe et la Chine ; une expédition héroïque, contre vents (de mousson) et marées, dans une région dangereuse, le long de côtes alors inconnues ; son succès lui valut d’être nommé gouverneur général des Mascareignes : île Rodrigues, île de France (Maurice) et île Bourbon (La Réunion). Nous étions alors en février 1787, d’Entrecasteaux rentra en France en novembre 1789.


Longue escale en Tasmanie
Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
C’est à cette époque particulièrement trouble pour le pays que Louis XVI, inquiet sur le sort de Lapérouse, confia à d’Entrecasteaux la mission de le retrouver dans l’immensité du Pacifique.

Nous l’avons vu, la préparation de ce très long voyage mobilisa des fonds importants, mais le roi, comme l’Assemblée constituante, ne regardèrent pas à la dépense. Deux navires de commerce polyvalents, des gabares, furent affectées à l’expédition ; remises à neuf, leurs coques doublées de cuivre pour éviter l’attaque des tarets, équipées de canons, La Truite et La Durance devinrent La Recherche et L’Espérance.

La mission était donc double ; retrouver La Pérouse ou les traces de sa fin si ses navires avaient été perdus et dans ce cas, refaire en quelque sorte le travail de ce dernier grâce aux scientifiques embarqués sur les deux bateaux.

D’Entrecasteaux mit le cap sur l’Afrique du Sud, passa Bonne Espérance, fit escale au Cap avant de repartir le 21 avril 1792 en longeant le Natal. Le navigateur connaissait bien cet océan et il lui fallut moins de deux mois pour atteindre la Tasmanie.

A l’emplacement de l’actuelle ville d’Hobart, les navires se mirent à l’ancre et refirent leurs provisions alors que les scientifiques herborisaient. Dans ce qu’ils avaient baptisé « baie de la Recherche », les Français demeurèrent vingt-cinq jours avant de se lancer dans leur course à travers l’Océanie, sur la piste de Lapérouse.


Un tour complet de l’Australie
Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
Île des Pins, Nouvelle-Calédonie, Salomon, Bougainville, Nouvelle-Irlande, îles de l’Amirauté, Nouvelle-Guinée, Moluques… D’Entrecasteaux ne ménagea ni ses bateaux ni ses équipages et lui encore moins. En septembre 1792, les Français obtinrent l’autorisation de se reposer et de se ravitailler sur l’île d’Amboine (capitale des Moluques), alors aux mains des Hollandais. Le scorbut faisait déjà des ravages dans les rangs de La Recherche et de L’Espérance et un mois ne fut pas de trop pour remettre les équipages en bonne condition physique.

Le 13 octobre, la « chasse » reprit, et d’Entrecasteaux décida de faire le tour complet de la Nouvelle-Hollande (l’Australie) ; il se retrouva en Tasmanie le 21 janvier 1793.

Là encore, le manque d’eau durant le périple et le scorbut omniprésent obligèrent d’Entrecasteaux à mettre au repos ses équipages jusqu’au 14 février. La recherche de Lapérouse reprit de plus belle : la Nouvelle-Zélande fut aperçue (mais d’Entrecasteaux ne s’y arrêta pas), le commandant baptisa un archipel (les îles Kermadec, ainsi nommées en l’honneur du commandant en second) puis atteignit Tongatapu le 24 mars.

Faute de traces de Lapérouse aux Tonga, d’Entrecasteaux explora ensuite une partie de l’actuel Vanuatu (Tanna notamment) avant de regagner la Nouvelle-Calédonie le 18 avril.

Le 6 mai, de Kermadec décéda et là encore, faute d’information sur les Français disparus, d’Entrecasteaux repartit en direction des Salomon. C’est ici qu’il manqua son rendez-vous avec l’histoire, puisqu’il passa le long des côtes de Vanikoro où se trouvaient les survivants de l’expédition de Lapérouse, l’explorateur lui-même y étant peut-être encore en vie. Mais d’Entrecasteaux naviguait un peu trop loin au large et continua sa route jusqu’aux Salomon, puis jusqu’à l’archipel de la Louisiade et enfin le long des côtes de Nouvelle-Guinée où furent découvertes et baptisées les îles Trobriand et les îles d’Entrecasteaux.

Au nord-est de la Nouvelle-Guinée, le 20 juillet 1793, à 19 heures, totalement épuisé par le scorbut qui le rongeait autant que ses hommes, le contre-amiral d’Entrecasteaux mourut dans sa cabine sans savoir qu’il était passé à deux doigts – et quelques milles nautiques- de résoudre le mystère Lapérouse…

Alexandre d’Hesmivy d’Auribeau lui succéda et se rendit aux Moluques pour sauver ceux qui pouvaient encore l’être, sans savoir qu’à cette époque, la guerre entre la France et la Hollande avait été déclarée…

Daniel PARDON


Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort


Mort, Huon de Kermadec ne sera pas mangé !
Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
Jean-Michel Huon de Kermadec commandait, dans l’expédition du contre-amiral Bruny d’Entrecasteaux, la frégate L’Espérance.

Né le 12 septembre 1748, il mourut le 6 mai 1793, après avoir vaillamment accompagné le chef de l’expédition et l’avoir surtout éclairé de ses bons conseils, notamment en veillant à revenir en Tasmanie pour réapprovisionner les navires en eau douce potable.

Les causes de sa mort sont discutées ; selon certains, il souffrait de la tuberculose et en était affaibli ; pour d’autres, les privations de cette expédition, les fatigues et surtout le scorbut ont eu raison de ses dernières forces. A son décès, il n’avait pas 45 ans et ne laissera pas de descendance derrière lui puisqu’il n’était pas marié.

Capitaine de vaisseau au moment de sa mort, il a rendu son dernier souffle à Balade, en Nouvelle-Calédonie et a été enterré au nord-est de la Grande Terre, sur l’île de Poudioué (commune de Ouégoa).

On pouvait espérer que d’Entrecasteaux lui élèverait un monument sur cette petite île, mais bien au contraire, les marins chargés de mettre de Kermadec en terre prirent grand soin de l’enterrer profondément et d’effacer toute trace de cette brève et discrète cérémonie. Et pour cause ! Ils redoutaient que les Canaques rencontrés dans ce secteur de la Nouvelle-Calédonie et qui avaient démontré qu’ils étaient cannibales, ne prennent l’initiative d’exhumer le capitaine de vaisseau pour le dévorer…

Le décès de ce marin confirmé affaiblira l’expédition de d’Entrecasteaux et d’ailleurs, celui-ci ne lui survécut que de quelques semaines, puisqu’il mourut du scorbut le 20 juillet de la même année.

Après le décès du commandant de L’Espérance, c’est le jeune lieutenant de vaisseau d’Hesmivy d’Auribeau (qui avait été nommé au cours de l’expédition capitaine de vaisseau le 25 avril 1792, puis capitaine de vaisseau de première classe le 5 février 1793), alors âgé de seulement 33 ans, qui fut nommé capitaine de L’Espérance pour succéder à de Kermadec. D’Auribeau était alors le second à bord du bateau que commandait d’Entrecasteaux, La Recherche.


Une expédition décapitée par la Révolution
Après la mort des deux capitaines commandant La Recherche et L’Espérance, Kermadec et d’Entrecasteaux, l’expédition pour retrouver Lapérouse tourna mal assez vite.

Alexandre d’Hesmivy d’Auribeau succéda en effet officiellement à d’Entrecasteaux ; prenant le commandement des deux navires, il décida de remonter vers les Moluques puis de se rendre à Madura (actuelle Indonésie) et de se rapprocher de la colonie hollandaise de Surabaya.

Petit souci, la France révolutionnaire était alors en guerre contre la Hollande et l’expédition n’était pas forcément la bienvenue, ce que d’Auribeau n’apprit que le 25 octobre. Il s’était jeté dans la gueule du loup et les travaux des scientifiques de l’expédition, esprits plutôt favorables à la Révolution française, furent confisqués tandis qu’eux-mêmes furent arrêtés.

D’Auribeau, royaliste convaincu, comprenant que pratiquement toute l’Europe était opposée à son pays, que la Terreur y régnait et que son roi, Louis XVI, avait été décapité, préféra hisser le drapeau blanc et se placer sous la protection des Hollandais.

Les deux navires furent bien entendu immobilisés, tandis que les collections des scientifiques furent offertes par les Hollandais aux Britanniques (ceux-ci les rendront plus tard à la France, sous l’impulsion énergique du naturaliste Joseph Banks, qui ne voulut jamais mêler politique et science).

D’Auribeau ne se contenta pas de passer dans les camp des Hollandais, il le fit savoir, par un courrier daté de juin 1794, lettre qui lui valut d’être destitué par le Comité de salut public mis en place en 1793 à Paris. Sa destitution fut prononcée avec effet rétroactif au 30 novembre 1793, les révolutionnaires entendant bien le passer à la guillotine dès son retour en France.

Heureusement ou malheureusement pour lui, d’Auribeau n’était pas en état de rentrer ni d’aller où que ce soit ; l’expédition l’avait épuisé, et il décéda le 21 août 1794.

Son second, Elisabeth-Paul-Edouard de Rossel, lui succéda. Il se rendit à Batavia en 1795 et décida de mettre fin à l’expédition, compte tenu de la saisie des deux navires et des rivalités au sein des membres de l’expédition entre royalistes et révolutionnaires. Il embarqua à bord d’un navire hollandais capturé par un bâtiment de la Royale britannique en septembre 1795. 89 survivants de l’expédition sur 219 au départ, furent débarqués à l’île Maurice (alors Île de France), de Rossel préférant se rendre en Angleterre où il collabora avec les Anglais, compte tenu de ses convictions politiques. Il rentra en France en 1809 et publia un ouvrage, Voyage de d’Entrecasteaux, envoyé à la recherche de Lapérouse, qui lui permit de revenir au premier plan de la communauté scientifique.

L’expédition quant à elle, grâce à Banks qui fit rendre les collections, a été riche en découvertes botaniques ainsi qu’en reconnaissances géographiques. Mais d’Entrecasteaux et ses successeurs avaient bel et bien manqué leur but, à savoir retrouver monsieur de Lapérouse…


Bruny d’Entrecasteaux chercha en vain Lapérouse et ne trouva que la mort
Echec de l’expédition « uru » (Facultatif)

Les scientifiques embarqués avec d’Entrecasteaux, entre autres missions, devaient ramener des arbres à pain (« uru » en Tahitien) et les acclimater à l’île Maurice. C’est le contre-amiral lui-même qui en informa les botanistes Delahaye et La Billardière une fois à Tonga.

Deux cents jeunes pieds devaient être collectés et ramenés en pot jusqu’à l’île Maurice, en suivant scrupuleusement la méthode employée avec succès par le capitaine Bligh lors de sa seconde mission à Tahiti en 1792.

Chaque caisse comprenait un cadre de grillage et de verre (à la manière d’une petite serre) et des réserves d’eau avaient été constituées pour que ces rejets parviennent vivants à bon port.

Du 25 mars au 10 avril 1793, d’Entrecasteaux demeura à Tonga, le temps pour les botanistes de remplir leur mission. Compte tenu de la fin avortée du voyage, ces « uru » ont sans doute été débarqués, replantés ou plus probablement ont été détruits à Batavia.

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