Située à plus de 1 240 km au sud de Tahiti, l’île de Rapa est la plus isolée de l’archipel des Australes. Elle compte aujourd’hui 521 habitants, et le secteur primaire reste la première activité sur place.
Sans aérodrome, les déplacements entre Rapa et le reste des îles polynésiennes sont assez restreints, ce qui complique notamment le transport des évasans non-urgents, surtout au début et à la fin des vacances scolaires.
En effet, sur Rapa il n’y a pas de collèges. Les enfants de l’île sont obligés de se rendre soit à Tubuai, à Rurutu ou à Tahiti pour poursuivre leurs études. Et lorsque les vacances scolaires arrivent, tous les enfants regagnent leur île natale, à bord du Tuhaa Pae depuis 1 an. Un transport qui était jusque-là assuré par le Tahiti Nui. Mais, "le ministère de l’Éducation nous a confié cette tâche", raconte Patrice Colombani, PDG de la SNA-Tuhaa Pae.
Le ministère réserve ainsi toutes les 48 couchettes des dortoirs pour les élèves. Une initiative qui compliquerait par la même occasion, les évasans non-urgents de Rapa.
LA CPS NE PREND EN CHARGE QUE LES COUCHETTES EN DORTOIR
Pour un évasan non-urgent, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) prend en charge le transport des patients jusqu’à Tahiti. Pour les malades de Rapa, le voyage se fait au moins jusqu’à Tubuai ou à Raivavae par bateau, avant de rejoindre Tahiti en avion. Le souci est que seules les couchettes sont prises en charge par la CPS. Si celles-ci sont toutes occupées, le malade doit soit, attendre le prochain bateau, soit prendre une cabine, "qui offre bien sûr différents conforts en fonction des prestations du bateau", explique Narii Tuanainai, maire de Rapa.
Bien évidemment, le coût est plus élevé, mais la "CPS ne paie que les places en dortoir et non en cabine. Donc, c’est à la charge du malade", rajoute le premier magistrat de Rapa.
"La CPS rembourse le tarif sur le prix d’une couchette, et c’est au patient de payer le surplus. Et notre population, qui est en grande partie non salariée, n’a pas les moyens d’assumer les frais supplémentaires", précise Tiphanie Tedesco, infirmière à Rapa.
"On a eu plusieurs patients qui ont dû partir un mois après", se rappelle Tiphanie Tedesco. "On a deux situations qui s’offrent à nous. Premièrement, on a les malades qui prennent le Tuhaa Pae de Rapa jusqu’à Tahiti quand leur état de santé ne présente aucun motif qui justifie de prendre l’avion. La deuxième situation concerne les malades qui sont éligibles de prendre l’avion, c’est-à-dire qu’il présente un état de santé qui fait que le transport est plus confortable et sécuritaire pour eux (enfants, personnes âgées et femmes enceintes)."
Pour éviter ce genre de situation, les infirmiers de Rapa revoient le programme des évasans, tout en évitant les bateaux scolaires. "Sauf en cas d’urgence, et là, quand on a à chercher des places, on doit négocier et vraiment attendre le dernier moment pour voir s’il y a des désistements le jour où le bateau part."
La CPS fait de son mieux pour gérer ces opérations. "Nous prenons en charge les couchettes, et si le malade présente un cas exceptionnel, nous le dirigerons vers les cabines. À ce moment-là, il faudra un justificatif médical", prévient taote Tuterai Tumahai, médecin à la CPS.
Chaque année, la CPS débourse 1,4 milliard de francs pour les évacuations sanitaires en Polynésie française. Rien que sur Rapa, la CPS compte 200 évasans par an.
UN AÉRODROME SERAIT L’IDÉAL ?
La mise en place d’un aérodrome à Rapa pourrait être la meilleure solution. Si ce projet a toujours été refusé par les habitants de l’île jusqu’à présent, les avis ont bien évolué depuis.
"Aujourd’hui, la population est assez divisée pour la mise en place d’un aérodrome sur Rapa. La moitié est contre et l’autre moitié est pour. Dans un premier temps, je vais demander à mettre en place une étude de faisabilité", indique le tāvana de Rapa.
Deux sites pourraient accueillir le futur aérodrome de l’île. Le premier se trouve sur un remblai dans le lagon, "mais les habitants refusent cette hypothèse". La seconde option pourrait être réalisée en montagne. "Après les études qui ont été menées par les services de l’Etat, il semblerait que ce site reste assez dangereux pour le décollage et l’atterrissage d’un avion. Ils ont fait cinq tests dans les deux sens et ils n’ont réussi que deux. Ils ont vu aussi que le site était très vallonné et que le financement pourrait s’élever jusqu’à trois milliards de francs", détaille Narii Tuanainai.
Il faudra, dans ce cas-là, négocier avec le Pays pour réaliser cet aérodrome. "En tant que maire, je pense que c’est la meilleure solution pour répondre aux difficultés rencontrées par les évasanés de Rapa. Je ne suis pas pour, mais s’il faut faire un choix pour sauver des vies, oui je soutiendrai cela."
De son côté le ministre de l’Equipement et des Transports Intérieurs, Luc Faatau s’est dit étonné par cette décision. "Aujourd’hui, l’avis du maire est une surprise, elle pourra être agréable pour les uns et désagréable pour les autres. Ça peut être très important pour les problèmes d’évacuations sanitaires, et je pense que c’est ce point qui a fait changer l’avis de la population de Rapa."
Pour le ministre, les habitants de Rapa doivent bien réfléchir sur ce sujet "sensible". "Après, le Pays a toujours été ouvert sur le désenclavement de ses îles", assure Luc Faatau.
Maire de Rapa
"Nous voulons préserver ces dispositifs qui sont propres à nous"
"Si nous n’avons jamais voulu d’aérodrome à Rapa, c’est pour plusieurs raisons. Il y a le foncier par exemple, nous n’avons pas de cadastre sur Rapa. Le foncier est géré par le conseil des sages, et nous avons peur que les personnes originaires de Rapa et qui vivent à l’extérieur, facilitent les allées et venues, et changent notre façon de faire à ce sujet. Nous voulons préserver ces dispositifs qui sont propres à nous. Il y a plusieurs domaines comme cela, le rahui aussi… "
Ministre de l’Equipement et des Transports Intérieurs
"C’est un sujet sensible, on va laisser la population réfléchir"
"Il faudra se poser la question à savoir si un tel investissement est nécessaire pour l’île de Rapa. Vous avez des îles aux Tuamotu, où il n’y a pas beaucoup d’habitants, mais le Pays a investi beaucoup d’argent par rapport au nombre de la population.
Maintenant, si ce projet d’aérodrome doit se faire à Rapa, le Pays va certainement intégrer cela dans ses programmations pour les années à venir, parce que trois milliards de francs ne se trouvent pas comme cela. C’est un sujet sensible, on va laisser la population réfléchir et bien travailler sur le dossier. D’après ce que j’ai cru comprendre, la population de Rapa reste encore partagée sur la question."