Du 30 novembre au 3 décembre, vous organisez une exposition à la présidence sur Makatea. Vous y présenterez le projet de reprise d’exploitation du phosphate sur l’atoll et sa réhabilitation. Est-ce une opération séduction du grand public ?
Nous allons présenter à tout le monde les informations. Sans connaître l’ensemble des informations, il n’est pas possible de comprendre le projet et de le considérer correctement. C’est un problème et c’est pourquoi cette exposition est prévue.
En septembre, le conseil municipal de Rangiroa a voté le soutien du projet de reprise d’exploitation du phosphate. J’étais présent à la réunion de ce conseil municipal. Le président Fritch aussi. Celui-ci a dit qu’il soutenait le projet à condition qu’il y ait un accord général de la population et des propriétaires. Il a proposé de mettre à notre disposition la présidence pour une exposition pour expliquer aux gens ce projet.
En 1966, la Compagnie Française des Phosphates d’Océanie est partie de Makatea. En quelques semaines, la cité minière est devenue une ville fantôme. Que peut-on exploiter aujourd’hui et comment ?
A une profondeur de seulement 6 à 7 mètres, nous avons découvert une couche de phosphate, inexploitée précédemment, qui s’est déposée dans le lagon originel de Makatea il y a quelque 800 000 ans. La couche de phosphate est de 0.6 à 1 mètre d’épaisseur. Cette couche s’étend entre les trous. Ce phosphate a été déposé en même temps que celui du lagon de Mataiva.
La ressource en phosphate a été estimée à 6.5 millions de tonnes. C’est du phosphate de haute qualité. Nous pensons vendre 250 000 tonnes par an. La durée d’exploitation est prévue pour 26 ans. Il y aura 73 emplois directs. La tonne sera vendue 138 dollars US car c’est du phosphate de bonne qualité.
Concrètement, en quoi va consister ensuite la réhabilitation ?
Nous signerons un acte de caution bancaire en faveur du Pays pour garantir la bonne fin de nos engagements sur la réhabilitation des parcelles. La réhabilitation se fera progressivement au fur et à mesure de l’exploitation. Environ 22.3 hectares seront réhabilités chaque année. Le coût de la remise en état est 2 500 Fcfp par mètre carré, soit 25 000 000 Fcfp par hectare. La garantie bancaire sera de 10 millions de dollars.
Vous assurez qu’il n’y aura pas d’expropriation. A combien seront loués les terrains des propriétaires ?
"Il n’y aura pas d’expropriation. Nous connaissons tous les propriétaires terriens. Il y aura une discussion privée avec les propriétaires (pour le montant de la location)."
Quelles sont vos prévisions de chiffre d’affaires ?
"90 000 m3 de concassage seront réalisées par an. Le prix de vente sera de 5000 Fcfp par m3 (Cost, Insurance, Freight) Papeete. Le total des ventes par an est donc estimé à 450 millions.
250 000 tonnes de phosphate par an sera exploité. Le prix de vente est de 138 dollars US par tonne FOB (Free on Board) à Tema’o, soit 35 millions de dollars US par an. Au total, pour ces deux activités, cela représente 39.5 millions de dollars. "
Quels sont les clients potentiels du phosphate ?
"Par le passé, les trois clients du phosphate étaient l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon. Ce phosphate est l’un des plus purs au monde car il est issu de la mer et non des oiseaux. Au Japon, Mitsui et Mitsubishi sont intéressés. Ce phosphate sera utilisé en ferme bio car c’est un phosphate naturel. La seule chose à faire est de le sécher."
Quelles seront les retombées financières pour la Polynésie française ?
En considérant les cotisations sur les salaires et les diverses taxes, le taux de contribution de Avenir Makatea est de 52 % de son chiffre d’affaires total à l’export, en tenant compte des salaires et des cotisations sociales. Hors salaires, cela représentera 17.96 milliards de Fcfp pour l’ensemble de la durée d’exploitation.
Quels est votre calendrier prévisionnel ?
La demande de concession minière a été déposée en juillet dernier. Nous souhaiterions avoir la concession minière en juillet 2017. En août et septembre 2017, des feo et du calcaire pourraient être cassés pour remplir les trous dans la zone du village et installer des unités de logement. En décembre 2017, du phosphate serait alors ensaché dans des big bag car les clients veulent avoir d’abord du phosphate en grande quantité pour qu’ils puissent tester.
En juillet 2018, les vieux bacs de stockage de la CFPO et les tunnels de transport seront restaurés.
C’est le dossier le plus compliqué et difficile que j’ai jamais fait mais c’est aussi celui qui a le plus grand bénéfice social. C’est pourquoi, je suis très engagé. Pour tous les projets, vous avez besoin de quatre choses : la passion, la patience, la persévérance et de l’argent. Et quel argent depuis le début de ce projet il y a six ans ? Mon argent.
Combien d’argent a ainsi été investi ?
Jusqu’à août dernier, deux millions de dollars US ont déjà été investis.
Vous annoncez 73 emplois pour l’exploitation du phosphate. Les travailleurs seront-ils des employés locaux ?
Ces 73 emplois seront répartis entre Makatea et Tahiti. 62 seront à Makatea et onze à Papeete. La priorité sera d’abord donnée aux personnes de Makatea, puis de la commune de Rangiroa puis aux personnes de Polynésie française.
Mais y a-t-il dans ces îles des personnes formées pour ce travail ?
Bien sûr. Ils devront être formés pour l’utilisation des équipements à Makatea. Il y a aussi déjà des personnes originaires de Makatea qui travaillent dans des mines de nickel de Nouvelle-Calédonie qui veulent rentrer.
Vous estimez le coût de la réhabilitation à 2 500 Fcfp le m2, ce n’est rien comparé aux bénéfices que vous ferez.
Bien sûr, s’il n’y a pas de profits, il n’y a pas de projets. C’est une histoire simple car sinon personne n’investirait.
Les détracteurs du projet craignent l’impact sur l’environnement. Vous-même reconnaissez les côtés négatifs en parlant de "l’impact potentiel sur les oiseaux endémiques" et "les plantes endémiques". Quelles dispositions allez-vous prendre pour répondre à ces risques ?
"J’ai un consultant indépendant (le bureau d’études Pae Tai-Pae Uta, ndlr) qui a préparé une liste de mesures que nous devons prendre. J’ai aussi retenu de mon expérience en Australie ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Nous avons aussi des eu des expériences en Australie qui montrent qu’on peut faire du bon travail. C’est exactement ce que nous allons faire ici."
La SAS Avenir Makatea prévoit d’exploiter et de réhabiliter 600 hectares, soit près de 60 % de l’ancienne zone exploitée. La réhabilitation se fera au fur et à mesure. Pour faire simple, la société ira chercher le phosphate entre 6 à 7 mètres de profondeur puis, une fois celui-ci récupéré, elle procédera à la réhabilitation. En résumé, "on exploite, on réhabilite, on exploite, on réhabilite".
La SAS Avenir Makatea annonce qu’après consultation des habitants, certaines zones ne seront pas exploitées, ni réhabilitées. Ainsi, la zone où sont les grottes de Moumu ne sera pas touchée. La zone de l’ancienne voie ferrée vers le mont Aetia , où il y a le fare mauve notamment, ne sera pas non plus concerné par la reprise de l’exploitation.
La zone du mont Putiare ne sera pas non plus exploitée. Il y a quelques semaines, le maire délégué de Makatea, Julien Mai, confiait vouloir présenter cette zone au patrimoine mondial de l’Unesco.
Une bande de 100 mètres à proximité des falaises et de la forêt primaire sera aussi laissée telle quelle.
Alors qu’aujourd’hui certaines parties de Makaetea, anciennement exploitées par la CFPO, ressemble à des alvéoles d’abeille inutilisables, il est difficile de comprendre comment va se faire la réhabilitation de Makatea. Voici les étapes décrites par la direction de SAS Avenir Makatea :
« La réhabilitation de chaque surface se fera en plusieurs étapes :
1- "Différentes prospections de reconnaissance sont préalablement réalisées pour la végétation afin d’identifier la présence d’espèces protégées et de nids, pour la détection de la hauteur du plafond de grottes souterraines, par topographie."
"Si la zone est exploitable et réhabilitable, le défrichage est effectué et les débris mis en compost."
2 – La seconde étape consiste "à retirer le sable resté présent éventuellement dans les feo, pour éviter un mélange par la suite. L’opération est faite à l’avancement mécaniquement, avec un excavateur à distance.
3- Le "préremplissage (des trous) est réalisé avec du calcaire mou précédemment pris et conservé en arrière".
4- Retrait des feo : "la partie dure, exploitable en granulat des feo est retirée. Elle est soit en partie utilisée sur place pour du remplissage ou en mélange, soit emportée à la zone de concassage pour préparation et expédition ».
5- Retrait du calcaire doux : "la partie inexploitable, constituée de calcaire doux, est broyée et mise en tas. Cette partie du sol représente environ 4 à 5 mètres de haut. Elle va servir ensuite à combler les trous. »
6- Exploitation de la couche de phosphate : "La couche de phosphate est retirée et traitée pour séchage et conditionnement. »
7- Préparation du nouveau sol : "Mise en place et étalement du calcaire mou, dépose du compost".
8- Parcelle réhabilitée : « Le sol est réhabilité, d’une altimétrie inférieure de trois mètres environ par rapport au terrain initial, au sommet des trous. En attente, il est replanté par des espèces indigènes, arbres et arbustes. »
"Nous ne sommes pas réfractaires à un projet de développement sur l’île", indique Sylvana Nordman, présidente de l’association Fatu Fenua no Makatea. "Il y a tout un potentiel de développement en matière de tourisme vert, d’apiculture ou de culture maraîchère. On veut un vrai développement durable pour l’atoll."
Les deux associations craignent que l’exploitation du phosphate et la réhabilitation de l’île aient un impact négatif sur l’île. L’atoll de Makatea a en effet été classé site prioritaire de conservation en 2005 par des spécialistes de l’environnement dont Jean-Yves Meyer, délégué à la recherche. L’atoll abrite une faune et une flore plus riches que partout ailleurs dans l’archipel des Tuamotu : des oiseaux et plantes endémiques y ont été recensés.
Les deux associations ont récemment reçu le soutien de l’association Sauvons la forêt, qui a mis en ligne une pétition. Vendredi, celle-ci avait reçu près de 57 000 signatures. Dans un courrier, la Fédération des associations de protection de l’environnement Te Ora naho « met en garde contre les graves conséquences que ce projet engendrerait, s’il était mis à exécution, en particulier, sur l’écosystème de l’île et sur la vie de ses habitants ».
Dans un courriel, rendu public, Lucien Montaggioni, sédimentologue, a souligné que « Le plateau supérieur porte des formations coralliennes et des gisements de fossiles divers ( mollusques, échinodermes, foraminifères …) datant du Miocène moyen (environ 15 millions d’années ) qu’on ne retrouve pas ailleurs en Polynésie. C’est donc un site unique pour l’ensemble de la Polynésie et rare à l’échelle du Pacifique ». Il ajoute : « il est évident que le fait d’araser le plateau pour accéder aux phosphates supprimera définitivement ces gisements fossilifères ».