"Il faut intégrer les notions de soins palliatifs et d'accompagnement de fin de vie"

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PAPEETE, le 5 octobre 2016 – Au mois d’août, deux décrets et un arrêté étaient publiés au journal officiel de la République française pour préciser les droits des personnes en fin de vie. En Polynésie, ils sont applicables sur le territoire depuis le 13 août. Le docteur Gilles Soubiran, président du conseil de l’ordre des médecins, décrypte ces nouvelles dispositions de cette loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Dans quel contexte a été mis en application ce décret ?

Le décret a été appliqué au mois d’août. Le gouvernement français avait demandé son avis sur la question à la Polynésie française plusieurs mois auparavant. Le conseil de l’ordre des médecins avait donné un avis favorable. Normalement, comme la Polynésie est compétente dans le domaine de la santé, toute décision qui concerne la santé des gens doit être prise par la Polynésie. Mais là, il s’agit d’un décret qui porte sur les libertés individuelles. Celles-ci sont d’ordre régaliennes, ce n’est pas de la compétence de la Polynésie. Cet arrêté est pris au titre de ce qu’on appelle la capacité des personnes, cela vient modifier des dispositions qui apparaissent dans le code de santé public.

Pourquoi avoir réagi récemment concernant ce décret alors qu’il est en application depuis le mois d’août?

Cela m’a paru important de le faire savoir parce que je pense que les églises et l’opinion publique n’ont pas encore très bien saisi l’importance de ce problème là. Probablement, au fur et à mesure que ce sera compris, il y aura des réactions négatives sur certains points et positives sur d’autres.



C’est-à-dire?

Là où il pourrait y avoir un effet positif, c’est sur le point du refus de traitement. Nous remarquons dans notre pratique quotidienne que les gens ont plus peur du traitement que de la maladie. Ils sont très très souvent en refus de soins bien que la maladie soit grave… De plus, il y a un aspect du décret qui explique que l’opinion du patient et prioritaire sur l’opinion du médecin. Cela devrait satisfaire les gens. En revanche, ce qui risque d’être moins bien compris reste l’arrêt des soins et la sédation profonde jusqu’au décès.

Pourquoi?

Quand on décrit ce qu’est la sédation profonde, les gens pensent à l’euthanasie, alors qu’il y a un continuum des soins d’accompagnement de fin de vie et la provocation anticipée du décès. La limite est un peu floue à certain moment. Mais le principe retenu par le législateur est que chez quelqu’un pour qui le traitement n’est plus utile ou déraisonnable par rapport à la maladie, on peut arrêter les traitements et laisser la maladie poursuivre son cours. Dans ces cas-là, quand on arrête les traitements et qu’on laisse la maladie se poursuivre, les gens souffrent atrocement,. C’est à ce moment là que nous proposons la sédation profonde, c’est-à-dire de les endormir pour qu’ils ne souffrent pas. C’est vrai que la sédation profonde, d’un autre côté, coupe la communication extérieure. C’est quelque chose qui n’est pas très loin de la mort. C’est là où il y a un petit flou. C’est peut-être sur ce point que certaines religions pourraient avoir des remarques à faire.

Comment est perçue cette information du côté des médecins ?

De la part des médecins, j’ai eu des retours plutôt favorables car nous étions parfois dans des situations très difficiles par rapport aux malades en fin de vie. L’attitude que nous devions avoir par rapport à la fin de vie a toujours été très difficile à gérer. Maintenant, nous avons un cadre règlementaire, d’une part, qui nous impose de ne pas nous opposer à la volonté du malade s’il veut arrêter les soins et d’autre part, qui nous impose lorsqu’il faut arrêter les soins de créer les conditions pour que la fin de vie se fasse sans douleur et sans traumatisme. Ce sont des pratiques qui existaient plus ou moins déjà mais qui n’étaient pas encadrées par la règlementation. La précédente législation sur ce thème était un peu plus floue sur la façon de procéder, alors que là, c’est clair est net.

Est-ce un pas de plus vers la pratique de l’euthanasie, comme cela se fait déjà dans des pays limitrophes à la France métropolitaine?

Probablement que la France y viendra. C’est autorisé en Belgique et, là-bas, la moitié des gens qui vont se faire euthanasier sont Français. Maintenant, chez les Occidentaux, c’est quelque chose d’accepter. Les religions ne s’y opposent pas de manière frontale. Elles s’opposent beaucoup plus à l’avortement qu’elles ne s’opposent à l’euthanasie ou aux soins de fin de vie. En Polynésie, c’est trop tôt pour en parler. Il faut déjà, en Polynésie, intégrer les notions de soins palliatifs et d’accompagnement de fin de vie, qui sont des notions mal connues, aussi bien dans la population que chez les hommes politiques. Déjà, pour nous, c’est une première étape puis on verra comment les gens réagissent…

Comment les gens vivent la fin de vie ici?



Ici, l’arrêt des soins pour fin de vie est quelque chose de commun mais la réaction des gens en fin de vie est très curieuse. Par exemple, l’autre jour, nous avons discuté avec une dame qui était atteinte d’un cancer incurable et qui pour nous, allait bientôt mourir. Nous sommes allés la voir et nous lui avons dit que nous ne pouvions plus lui faire de traitement pour son cancer… Elle n’était pas d’accord et voulait une chimio thérapie. A ce moment-là, nous rentrons dans la zone des soins déraisonnables : la chimio n’arrangera rien et peut-être même, accélérera le décès. Finalement, après en avoir parlé avec sa famille, la patiente n’a pas souhaité poursuivre les soins. C’est une attitude complètement différente de ce que l’on pourrait observer en métropole. Cette décision s’est fait sans stress. Nous avons eu un autre cas quelques temps auparavant. Une dame dialysée avec un cancer. Nous devions arrêter la dialyse mais la famille n’était pas d’accord. La famille a insisté et nous lui avons dit que ce n’était pas raisonnable et qu’elle risquait de mourir. Mais puisqu’ils ont insisté, nous l’avons fait quand même. Ce sont des situations comme celles-ci qui sont difficiles à gérer.

Que va changer le décret dans de telles situations?

Ave ce décret, nous pourrons discuter avec les familles qui insistent pour faire les soins et leur dire que nous nous mettons en situation hors la loi. Nous pourrons leur expliquer que, par compassion, nous pourrions faire des soins qui pourraient les tuer. Avant, nous n’avions pas ce garde-fou. Cette loi nous assure une protection. De la même façon, pour débuter le traitement, nous sommes toujours en difficulté. Nous avons toujours la perception comme quoi le traitement peut être bénéfique, améliorer la qualité de vie, mais les gens ne partagent pas cet avis. Parfois, ils se mettent en refus de soin. Avant, nous devions nous battre parce que c’était du déni de soins. Nous étions tenus d’essayer de les convaincre au maximum de se faire soigner. Mais là, peu importe la raison, nous sommes obligés de respecter leur volonté. Le cadre est quand même plus clair.

Qu’est-ce que ce décret change pour les patients?

Ils seront amenés à anticiper, à réfléchir sur leur devenir. Chose qu’ils ne font pas tout de suite. Cela va nous aider à ce moment là, à discuter avec eux de leurs projets de soins et de leur accompagnement de fin de vie.


Permis de laisser mourir?
• L’opinion des patients mieux prise en compte

Le 5 août 2016, deux décrets d’application et un arrêté du 3 août 2016 ont été publiés au journal officiel de la République française pour préciser les droits des personnes en fin de vie dans le cadre de la loi dite « Claeys-Leonetti » adoptée le 2 février 2016. En Polynésie, ces décrets d’application ont fait l’objet d’une publication au journal officiel de la Polynésie française (JOPF) le 12 août 2016. Dès lors, les dispositions de cette loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie sont devenues pleinement applicables sur le territoire polynésien depuis le 13 août. Ces nouvelles dispositions permettent d’assurer une prise en charge du patient, dans le respect de ses convictions exprimées ou anticipées, et dans le cadre d’une procédure collégiale. Pour Mathilde Giroud, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs du CHPF, c’est une bonne avancée : "Cela renforce les droits des malades. Les médecins sont obligés de regarder s’il y a des directives anticipées. Si elles ne sont pas appropriées au bien être du malade, les médecins se réunissent en réunion collégiale pour discuter des choix du patient. Ces décrets sont une bonne chose pour les directives anticipées."

• Un travail en amont

Comme le président du conseil de l’ordre, le médecin estime que ces décrets permettent d’avoir un cadre juridique plus clair en ce qui concerne la fin de vie. C’est aussi une manière de travailler en amont avec les patients sur leurs volontés. "Toute personne majeure dispose de la possibilité de faire connaître par anticipation ses directives concernant sa fin de vie pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté", indique un communiqué du conseil de l’ordre des médecins. Chacun peut exprimer ces directives par écrit. Le décret donne un minimum de règles à respecter sur la forme de ces directives. Deux types de formulaires sont prévus à titre d’exemple.

• Différence entre sédation profonde et euthanasie

"Cependant, il faut rester prudent. Le patient doit demander la sédation s’il est atteint d’une maladie grave et incurable. Les gens ne savent pas ce qu’est la sédation et font parfois la confusion avec euthanasie", met en garde Mathilde Giroud. Selon le nouvel article R.4127-37-3 du code de la santé publique applicable en Polynésie, la sédation profonde et continue consiste à administrer une sédation, c’est-à-dire, obtenir par des moyens médicamenteux l’altération de la conscience en vue de soulager la douleur, de façon ininterrompue jusqu’au décès. Cette phase s’accompagne d’une administration d’analgésique pour soulager la douleur et de l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, y compris la nutrition et l’hydratation artificielles.

• Pas de dérives possible

Mathilde Giroud estime que, compte tenu des dispositions, il ne peut pas y avoir d’abus."Comme nous ne pouvons rien faire sans procédure collégiale, il n’y a pas de raison qu’il y ait des dérives. " En effet, médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort, ce principe demeurant fixé par l’article 38 du code de déontologie médicale polynésien. Cette limite est d’autant plus forte que son non-respect entraîne des conséquences pénales extrêmement graves pour le médecin.


Les églises réagissent
Du côté des principaux représentants religieux, la connaissance de ce décret est très récente.

Maitre Phlippe Neuffer est le juriste de l’église protestante maohi. Il explique : "L’église protestante maohi est pour le droit à la vie qu’expriment les écritures et les instruments juridiques nationaux et internationaux. Elle n’a pas d’avis particulier sur un décret publié au journal officiel de la Polynésie française portant sur les modalités de mise en œuvre de la fin de vie pour lequel le gouvernement polynésien a donné un avis favorable et qui vient en application d’une loi votée par le parlement à la suite d’événements survenus essentiellement sur le territoire européen de la France."

Père Christophe, quant à lui, suit la ligne des commentaires de l’église catholique de France : "Nous avons un point de vue plutôt positif sur cette loi puisqu’il y a un refus explicite du suicide médicalisé et de l’euthanasie. Il y a une volonté ferme d’augmenter les soins palliatifs et c’est cela qui est le plus important, pour nous, dans cette loi. Cette loi fait écho à la peur du mal mourir, c’est tout à fait positif. Le problème qui est toujours récurrent, en revanche, sont les moyens quoi sont mis en œuvre pour les soins palliatifs. Car, au-delà de la peur du mal mourir, il y a la peur de souffrir. Il y a certaines choses qui restent à préciser mais sinon cette loi est quelque chose de positif. Nous sommes toujours opposé à l’euthanasie mais nous sommes pour mourir dignement."


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