Inondations : à qui la faute ?

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Inondations : à qui la faute ?
PAPEETE, le 4 février 2018 – Cet article est la première partie de notre dossier sur les inondations en Polynésie. Nous y posons la question "Pourquoi y a-t-il de plus en plus d’inondations à Tahiti ?" La population et les autorités pointent souvent du doigt les incivilités, les gros déchets abandonnés dans les rivières qui viennent se coincer sous les ponts. Mais en réalité le problème est bien plus profond. Lié à nos modes de vie et au développement économique, il sera très difficile à résoudre.

Les crues font partie de la vie naturelle d’une rivière. En cas de fortes intempéries, la plus grande partie de l’eau qui tombe sur une vallée finira par rejoindre et intensifier les cours d’eau, faisant monter le niveau de la rivière et augmentant sa puissance.


Inondations : à qui la faute ?
Pourtant, une crue ne conduit pas forcément à des inondations catastrophiques. Une rivière naturelle est même parfaitement adaptée pour contenir la puissance des flots… Non, les inondations des deux années passées sont avant tout causées par l’action de l’Homme. Mieux comprendre ces mécanismes, avec l’aide de spécialistes, permettra peut-être d’éviter de nouvelles tragédies dans le futur. Car la mémoire des polynésiens est encore vive de la peine causée par les crues qui ont dévasté la côte Nord de Tahiti en 2016 puis des quartiers du grand Papeete en 2017.

ARBRES INVASIFS, ÉBOULEMENTS ET INONDATIONS

Pourtant de très nombreux spécialistes expliquent depuis bien longtemps que nos rivières changent et deviennent plus dangereuses pour leurs riverains. Ainsi lors de la formation de ses éco-sentinelles par la Fédération des associations de protection de l’environnement, le biologiste et spécialiste de la biodiversité Fred Jacq expliquait que la prolifération de nouvelles espèces d’arbres invasifs sur nos montagnes et collines était un des principaux facteurs de l’augmentation des blocages sous les ponts pendant les fortes pluies. Ces arbres ont souvent été importés par la population, ignorant les effets pervers massifs qu’ils allaient déclencher sur notre écosystème.

Car ces espèces comme le falcata, le pisse-pisse, le goyavier de Chine ou encore le fameux le miconia (et la liste est encore longue) prospèrent en poussant très vite pour "prendre" le soleil de leurs concurrentes, des espèces endémiques à la croissance plus lentes. En échange de cette croissance fulgurante, ces espèces sont souvent très cassantes (les falcatas sont même un danger public vu leur propension à perdre des branches gigantesques sans prévenir) et ont des racines peu profondes. En cas de fortes pluies, ces racines ne peuvent pas retenir la terre dans la montagne, les éboulements se multiplient et les arbres invasifs cassent à cause du vent. Des tonnes de matériaux et troncs d’arbres se retrouvent dans la rivière, pour ensuite venir créer des barrages sous les ponts et inonder toutes les habitations alentour. "Si vous avez fait attention lors des dernières crues, les arbres coincés sous les ponts étaient presque toujours des espèces invasives" expliquait le chercheur en juillet dernier.

Malheureusement, à l’exceptions de quelques vallées protégées par les bénévoles de l’association Manu (pour la protection du Monarque de Tahiti), ces espèces invasives ont pris le contrôle de toutes les vallées de la zone urbaine…

PRÉLEVER DES AGRÉGATS DANS LES RIVIÈRES, UNE CATASTROPHE


Inondations : à qui la faute ?
Un autre gros problème vient de la soif inextinguible du secteur des BTP pour les agrégats, alimentée par la soir de construction et de modernisation qui tient tout Tahiti depuis l’ère du CEP. Ces graviers sont nécessaires pour la fabrication des routes et du ciment, mais malheureusement la Polynésie ne dispose pas d’une carrière où prélever les pierres nécessaires. Un système pervers s’est donc installé au cours des ans, où les entreprises chargées du curage des rivières utilisaient l’opportunité pour prélever dans le lit du cours d’eau les matériaux nécessaires aux projets de développement du moment. Les rivières sont tout simplement la meilleure source de pierres exploitables pour l’instant…

Mais les spécialistes ont déjà sonné l’alarme sur les effets indésirables de ce système, provoquant d’ailleurs une réaction très vive de la part des citoyens et des associations, par exemple la mobilisation des surfeurs de la Taharuu. Mais si ces prélèvements peuvent faire disparaître les plages des embouchures, ils ont surtout un effet très néfaste sur le cours naturel de la rivière en crue, qui peut commencer à grignoter les berges habitées et inonder la plaine, même en amont (plus haut, côté montagne) ou en aval (plus bas, côté mer) du curage !

Une réaction de Céline Advocat, ingénieur-conseils dans les domaines de l’Eau et de l’Environnement qui travaille désormais pour la Diren (c’est une bonne nouvelle pour nos rivières) a été publiée en 2016 dans le magazine Tahiti Pacifique. Elle est particulièrement éloquente. La spécialiste y assurait le "suivi de l’évolution morphologique du lit de la Punaruu suite à des travaux d’extraction d’alluvions réalisés sous couvert d’un curage fin 2013".

Elle écrivait ainsi que "l’on peut légitimement s’interroger du bien-fondé de ces travaux réalisés pour limiter le risque inondation sur un tronçon sans enjeu alors qu’ils ont pour incidences d’aggraver le risque inondation sur l’aval qui présente une forte vulnérabilité (zone industrielle, route de ceinture RT1, nombreuses habitations) ; et de menacer la stabilité de la piste d’accès au fond de vallée (village et captage d’eau) et des ouvrages en aval. Ces travaux ont aussi un impact sur la ressource en eau (abaissement de la nappe qui est alors drainée par le lit plus bas de la rivière), le milieu naturel (assèchement du lit, uniformisation des habitats) et sur la physionomie des plages (le déficit de matériaux en aval peut induire le recul des plages). (…) L’incidence de ces travaux sur la morphologie du lit ne se réduit pas au seul tronçon "curé". Le lit en amont du tronçon "curé" a aussi été déstabilisé par les travaux : il s’est fortement incisé par érosion régressive, l’abaissement du lit atteignant aussi 1,5 mètre environ 50 m en amont du tronçon curé et sa pente s’est accrue. Le lit s’est aussi déplacé en rive gauche menaçant la stabilité de la berge.

(…) En Polynésie, les rivières ont jusqu’alors été aménagées au regard d’objectifs évidents du développement économique de Tahiti (protection contre les inondations afin d’urbaniser les plaines, fourniture d’agrégats et pour certaines rivières telle la Punaruu, fourniture d’eau…). Aujourd’hui, le constat est irréfutable : cette politique est très dommageable pour le milieu physique, le milieu naturel et le milieu humain." La disparition de la plage causée par ces extractions provoque aussi un recul de la ligne de côte, mettant donc même les habitants du bord de mer en danger…

Au final, nous avons vu que les espèces invasives qui déstabilisent le sol des vallées et fournissent des troncs pour les barrages naturels, alliés aux extractions illégales qui perturbent l’équilibre naturel de la rivière sont très dommageables. Mais nous verrons demain, dans la deuxième et dernière partie de ce dossier, que le plus gros facteur de risque est lié aux aménagements humains près des rivières, et que même les tentatives de canalisation de ces cours d’eau peuvent se révéler contre-productifs.


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