Les Postaire-Le Marais, 65 ans d'histoires de famille

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Les Postaire-Le Marais, 65 ans d'histoires de famille
ARUE, le 27 novembre 2016 – Depuis 1951, l’entreprise Postaire-Le Marais fabrique et vend des produits d’entretien et de beauté à travers la Polynésie française. Philippe, le père et Pascale, la fille, sont à la tête de la SARL, pour le meilleur et pour le pire…

"Hé mamie, t’as pas 20 francs? Non? Attends, je vais chercher 10 francs, je reviens…" Pascale Postaire-Le Marais enjambe deux par deux les escaliers qui mènent au bureau de l’entreprise familiale, appuie sur la poignée avec vigueur avant de disparaitre dans la petite salle. Elle en ressort deux minutes plus tard, une pièce de 10 francs à la main. "Tiens mamie, s’adresse-t-elle à la cliente avec un large sourire. Mauruuru, à bientôt!"

La quinquagénaire vit à cent à l’heure. Il y a dix ans, elle a repris l’entreprise familiale : la SARL Postaire-Le Marais, spécialisée dans la vente d’eau de javel, de produits d’entretien et de savons de Marseille. "J’ai grandi ici, j’ai grandi dans cette entreprise. J’ai toujours aidé et donné un coup de main, ça n’a jamais été un travail. Avant, j’étais institutrice. Mon frère aîné était destiné à reprendre les rênes. Malheureusement, il est décédé. Comme mon père ne voulait pas vendre et ne pouvait pas continuer seul, j’ai arrêté ma carrière dans l’enseignement pour venir travailler avec lui", confie cette femme énergique, un regard bienveillant envers son père, assis à côté d’elle. Pascale ne pouvait pas laisser une si belle histoire de famille se terminer ainsi. Une histoire commencée il y plus de 60 ans à Tahiti.


L’APRÈS-GUERRE À TAHITI
Les Postaire-Le Marais, 65 ans d'histoires de famille
1946 : Philippe Postaire-Le Marais débarque à Tahiti avec sa famille :: voyage incroyable, départ de Paris début août 1946, tous ponts coupés, sans retour, cinq mois de voyage puis arrivée à Tahiti fin décembre. Il a 14 ans. "A l’époque, nous venions juste de vivre la guerre et mon père voulait partir le plus loin possible de toutes ces folies. C’est pour cette raison que nous sommes venus à Tahiti. Visiblement, nous ne sommes pas partis assez loin puisque la civilisation nous a rattrapés", lâche l’ancien, sourire en coin, avant de tirer sur sa cigarette. Les Parisiens s’acclimatent rapidement à cette nouvelle vie. Le père de Philippe, la tête dans les bouquins, se lance dans la fabrication de choses diverses et variées. "Lui, c’était la théorie, moi j’étais l’artisan." Briques avec la terre rouge de Faa’a, peinture à l’huile de « tiairi» (bancoulier) et toutes sortes de créations sortent de chez eux. "Nous avions trouvé comment faire de la peinture, mais, dans le livre, ils avaient oublié de préciser qu’il fallait faire cuire l’huile! Résultat : nous avons peint tout un mur de notre maison car nous avions fait beaucoup de peinture, mais elle n’a jamais séché!" Philippe et Pascale explosent de rire.

Un jour, le père de Philippe découvre la recette de l’eau de javel. L’aventure commence. Dans leur maison de Pirae, père et fils, aidés de la femme de ce dernier, s’affairent à la tâche. Très vite, leur produit se vend à travers l’île. "Mon grand-père a démarré avec rien, raconte Pascale avec une pointe de fierté. Quand ils ont commencé, ils ne connaissaient rien à cette fabrication et à l’époque, il n’y avait pas de bouteilles en plastique. Donc ils ont mis tout ça dans des bouteilles de récupération en verre. Les bouteilles étaient remplies avec des vannes en métal. Mais l’eau de javel et le métal ne font pas bon ménage. Les bouteilles explosaient. Ils ont appris sur le tard. Ils ont ensuite changé pour du verre, en récupérant toutes les bouteilles qu’ils pouvaient…"

Philippe démissionne de son poste dans l’administration des PTT et de son poste à radio Tahiti. Les Postaire-Le Marais fabriquent d’autres produits : le savon à l’huile de coco, le vinaigre d’ananas et de bananes… "Mon père avait décidé qu’il n’y avait pas de raison qu’on ne puisse pas faire à Tahiti ce qui était importé. Pour le vinaigre, il n’y avait pas de presse sur l’île, donc nous en avons fabriqué une. Et puis, nous faisions du vinaigre selon une méthode allemande, avec des copeaux de bois de hêtre, mais il n’y avait pas ce type d’arbre ici, alors il fallait les faire venir d’Europe! C’était un sacré équipement!", s’exclame Philippe, en soufflant.


« QUAND ON EST PATRON, IL NE FAUT PAS COMPTER SES HEURES »
Les Postaire-Le Marais, 65 ans d'histoires de famille
Persévérance, patience et force sont les maîtres-mots de la famille. Au fil des années, l’entreprise a évolué et les produits ont changé, mais la devise est restée la même. 65 ans après. A travers les tempêtes, Philippe et sa fille, aidés aujourd’hui par la dernière génération, ont maintenu le cap. "Nous sommes une entreprise familiale donc quand on voit que cela ne fonctionne pas trop, on réduit nos salaires et on attend que ça passe. Quand ça va mieux, on les remonte. On sait être flexible et heureusement. Par exemple, en ce moment, on a réduit le nombre d’heures de chacun, nous n’avions pas le choix", affirme Pascale avant d’ajouter : "Bien sûr, des fois, ils grincent des dents car à la fin du mois il n’y a pas grand-chose mais, au moins, ils ont un travail…"

Philippe sourit en regardant sa fille. La tête dans le guidon depuis des années, l’homme se garde de fanfaronner. "Les années passent tellement vite qu’on ne se rend même pas compte que cela fait 65 ans", lâche t-il, l’air étonné. "Je n’ai rien fait de spécial. Tout le monde pourrait en faire autant. Quand on est patron, il ne faut pas compter ses heures. Il n’y a pas de samedi, ni de dimanche. Je me lève tous les jours à trois heures du matin, encore aujourd’hui. Je suis en retraite fictive, sourit l’homme de 84 ans. Quand on travaille depuis longtemps, on ne peut pas s’arrêter, sinon, c’est la mort…"

Dans la petite pièce sombre qui sert de bureau, au-dessus de l’entrepôt adossé à la maison familiale, père et fille veillent l’un sur l’autre. Au cours de la journée commencée à l’aube, vente, livraisons et production s’enchaînent au pas de course. "Il vous reste de la javel, en bidon de 20 litres?", interroge la patronne d’une pension de Raiatea. Pascale bondit de sa chaise, lui apporte le produit et en profite pour lui offrir l’échantillon d’un nouveau détergeant. Le plus important pour les entrepreneurs? Le contact humain. Pas de pub et très peu de communication, les Postaire-Le Marais misent tout sur leur présence. "Si nous sommes encore là aujourd’hui, c’est grâce à notre régularité. Qu’on vende ou qu’on ne vende pas, on passe toujours dans les magasins. Les patrons me voient toutes les semaines, je passe au moins leur dire bonjour, me présenter et présenter mes produits", explique Pascale en recoiffant ses cheveux bouclés.

Cette formue marchera-t-elle encore pour 65 ans? Seul l’avenir le dira. Mais Pascale et Philippe entendent bien mener leur barque pendant encore quelques années et développer leurs idées. Jusqu’à ce que Vairea, l’aînée de Pascale, prenne, à son tour, la suite de son arrière-grand-père.


Une boutique éphémère au mois de décembre
Tout le mois de décembre, les Postaire-Le Marais auront une petite boutique face au Carrefour Arue, à côté du snack Haere Mai. Dans cette boutique éphémère, ils vendront leurs produits traditionnels ainsi que de nouvelles créations des savons de Marseille faits avec des herbes aromatiques : basilique, thym… Une station de remplissage d’eau de javel ( quatre sortes différentes ) et de détergent pourra accueillir les clients munis de leurs emballages ; ceci dans un soucis de protection de l’environnement avec un réemploi des emballages usagés.

Cette boutique est l’occasion pour les entrepreneurs d’être plus visibles.


Les grandes surfaces et les importations, une menace pour le commerce
Les Postaire-Le Marais, 65 ans d'histoires de famille
Pas facile d’être entrepreneur, surtout pas les temps qui courent. Il y plusieurs années, la SARL Postaire-Le Marais, a dit non aux grandes surfaces. "Avant, nous vendions nos produits au grands magasins. Mais au final, ils nous demandaient de baisser nos prix chaque année, de faire des remises… Alors certes, nous vendions en quantité mais au final, nous nous sommes rendu compte que nous ne gagnions aucun argent en faisant ça", explique Pascale. De ce fait, l’entreprise n’a gardé que quelques moyennes surfaces et fournit essentiellement les petits magasins et les particuliers.

Depuis plusieurs années, les entrepreneurs interpellent le gouvernement et la direction des affaires économiques du Pays sur la question des produits importés. "Nous avons demandé plusieurs fois à ce que les importations soient réduites, mais nous n’avons pas eu de réponse. C’est le seul moyen de créer de l’emploi. A l’heure actuelle, une entreprise comme la nôtre ne se développe pas suffisamment pour pouvoir embaucher. Quand je suis arrivé en 1946, tout était local, tout était fabriqué ici", regrette Philippe.


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