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Assis au milieu du paepae, les conteurs polynésiens sont fins prêts à raconter les histoires de leur île respective. C’est le Tahitien Teiva Manoi, dit Minos, qui prend la parole en premier. L’orateur est bien connu du monde culturel polynésien, notamment pour son rôle de ra’atira et orero au sein de groupes de danses. Ce soir, devant un public attentif, il va présenter le voyage de Patarava en langue vernaculaire. Accompagné de musiciens, Minos s’avance devant la scène et se lance. Durant dix minutes, l’homme de culture va raconter en reo tahiti l’histoire du voyage de Tupuanui, grand prêtre de ‘Oro. Originaire de Raiatea, il décide de partir à bord de la pirogue Patarava pour implanter une pierre issue du marae Taputapuatea sur celui de Tumarama, placé en face de To’ata. L’objectif : répandre le culte d’Oro à Tahiti. Mais avant même de fouler le sol tahitien, le prêtre, accompagné de sa sœur et ses deux frères, est attaqué par des guerriers. En invoquant le dieu Oro, les quatre guerriers sont finalement sauvés et reviennent à Raiatea. « C’est super car on découvre les histoires de plusieurs pays ce soir. On suit les traces de nos ancêtres », confie Eugénie. La quinquagénaire est venue avec ses amies pour assister à cette soirée contes et légendes. Toutes apprécient cet événement unique en Polynésie française. Et après Raiatea, le public plonge dans l’histoire des Marquises avec l’orateur Edgar Tetahiotupa.
Plongée dans les histoires polynésiennes
Enseignant et anthropologue, Edgar Tetahiotupa raconte la légende des îles Marquises. Après avoir reçu le collier de fleurs de son prédécesseur, l’homme se lance. En reo marquisien, il conte la construction par Atea et Atanua de leur maison, dont les fondations se réfèrent aux îles Marquises. Si elle fût d’abord construite en un bloc, elle se brisa peu de temps après. Aussi, les Marquisiens doivent reconstruire leur maison, se regrouper pour qu’elles ne deviennent plus qu’une. Le public du Paepae, installé dans la tribune, est enchanté et parfois rêveur, il voyage au cœur de la Polynésie. Lorsque Moses Goods, le conteur hawaiien, prend la parole à son tour, les spectateurs s’éveillent, sortent de leur songe pour entrer cette fois dans l’histoire de la légende de Kamapua’a. Cette divinité hawaiienne est une créature dotée d’un certain charme auquel peu de femmes résistent. La légende parle du voyage que ce akua (divinité) aurait effectué jusqu’à Kahiki, un pays lointain où les belles femmes foisonnent. Cherchant à gagner leur affection, il relève des défis les uns après les autres. Le conteur mime avec talent ces étapes du voyage, ainsi que les différentes formes que prend Kamapua’a, dont celle du cochon. « Il est génial ! Il nous emporte dans son histoire même si on ne comprend pas la langue. On devrait faire cela plus souvent ! », confie Pierrette, 80 ans, qui a bien rigolé lors de cette prestation, comme le reste des spectateurs. Descendant de la lignée Pi’ilani de l’île de Maui, Moses Goods est un extraordinaire conteur, il est d’ailleurs l’un des plus connu de Hawaii.
L’ambiance sur le paepae est chauffée. Après une ovation du Hawaiien, c’est au tour des deux jeunes Pascuanes d’être applaudies. Vêtues de leurs costumes traditionnels, Kimi Ora Hey Araki et sa jeune sœur racontent la migration du célèbre monarque Hotu Matu’a a Te Pito o te Henua. Leur grâce envoûte les spectateurs. Tout comme la voix douce et enrobée de Kimi Ora Hey Araki qui conte l’histoire du voyage de ce monarque vers l’île de Pâques. « Même si on n’a pas tout compris à ce qu’elles racontaient, c’était très beau ! », confie Laure, 39, venue en famille avec ses deux enfants, qui ont apprécié le spectacle même si cela n’a pas été facile pour eux. « Ils sont fatigués… ».
La culture débute avec langue et les légendes
« C’est plus difficile de comprendre le maori que le hawaiien, confie Patu, l’un des spectateurs, Mais on sent, à chaque fois, la puissance et la force lorsqu’ils parlent. C’est magnifique. Et, puis, cela nous remet en question : on doit parler notre langue. J’aimerais qu’un jour lorsqu’on va au magasin, tout le monde parle tahitien ! ». Minos, l’un des conteurs de cette soirée, n’en pense pas moins. Pour l’artiste, si la culture ne s’arrête pas à la langue, elle débute avec la langue et les légendes. Alors des moments comme ce soir sont importants pour l’avenir… « J’ai beaucoup apprécié les moments d’écoute, je faisais le rapprochement des langues, c’était très enrichissant. Notre jeunesse doit s’intéresser à sa culture et à nos cousins ».
Suliane Favennec